Les accrocs

Six jours en quarantaine, ou presque. Je pense devenir folle à laisser passer le vide, à redouter le drame du soir. Pendant ces longues heures, je ne ressens rien, comme anesthésiée de la vie et de sa palette d'émotions, je reste muette et immobile. Droite comme un i, la tête suspendu au-dessus de mon corps douloureux par un mince fil doré. Le silence m'oppresse et les journées semblent sans fin. L'arrivée de la nuit est anxiogène et ramène avec elle la peur et la culpabilité, et la fatigue cogne parfois si fort qu'il faut se tenir au mur pour ne pas s'effondrer. Je ne pense qu'à écrire mais mon cerveau embrumé se refuse, je cherche des mots qui ne viennent pas, je me déteste à ne pas savoir. C'est drôle, je me plaignais hier encore que le temps me filait entre les doigts, qu'il n'y avait dans mes journées aucune place pour prendre soin de moi, qu'elles étaient un automatisme épuisant et autodestructeurs. Et depuis quelques jours, mon corps me fait amèrement comprendre que je le pousse trop loin, que je lui fait trop de mal, et que je dois lui accorder du repos. Et devant tant de temps libre, l'abîme. Je ne sais quoi faire de mon temps, comment occuper mes heures, elles restent creuses et moi je pleure, de solitude, de douleur, de cette vie que j'aimerais tant pouvoir fuir. Ma petite boule de poils préférée est heureuse que je reste près d'elle, on passe nos journées à dormir ensemble, moi fiévreuse et elle blottie contre moi. J'ouvre les yeux et je les referme sitôt, pour fuir un instant de plus, pour me sauver une minute, pour gagner soixante minuscules secondes sur la vie. Juste avant de m'endormir avant-hier soir, j'ai pensé "je souffre dans l'ombre de mes mensonges, dans le silence de mes non-dits". Je me suis dit, très vite avant de sombrer, que les mots viennent toujours aux moments les plus inopportuns. Il y a des nuits comme celle-ci où ça revient avec violence. Les souvenirs. Un cauchemar m'arrache du sommeil et la boule au creux de mon estomac est là, oppressante. Je reconnaîtrais ces moments-là entre mille autres. Les souvenirs me broient le cœur si fort que je voudrais hurler, déverser hors de moi cette peur de l'oubli, que l'on m'oublie, cette peur constante, qui s'accentue par vagues, qui m'engloutit, moi et tout le reste.. Je sais pourtant que cela n'apaiserait pas la douleur vive dans ma poitrine ni n'effacerait les images qui défilent dans ma tête. Je n'ai pas pu dormir, l'esprit torturé par des pensées ineffaçables. Il y a quelques jours, j'ai eu un choix à faire. Choisir, c'est renoncer. Renoncer. Choisir. Prendre le risque de perdre. Ces trois tout petits mots virevoltaient dans ma tête sans que je ne trouve de réponse à ma question. Et contre toute attente, j'ai fait un choix. Et je me suis rendu compte que même si c'est douloureux, on y survit. Mon histoire n'est pas sans accroc, loin de là. La vie laisse des traces. Et ce soir, même si mon existence me semble sans dessus-dessous et que je ne parviens plus à imaginer de lumière au bout du chemin ; malgré la fatigue, la maladie, la solitude et le renoncement, je me remémore les mots de Quentin, deux ans et demi, lorsqu'il m'a dit un matin "mais non tu ne t'appelles pas Fantine, tu t'appelles Douce !". Les enfants, ces poètes. Je me remémore ses mots et le sourire qu'ils ont fait naître sur mon visage. Je ferme les yeux, très fort, et j'y pense plus fort encore. Brins d'étoiles dans ma nuit noire.

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