"On dit que je suis né le jour le plus froid du monde"

Que vous dire de ces dernières semaines...? Il se passe tant et si peu à la fois, tant de larmes versées, tant de nœuds dans mon ventre et si peu d'amélioration. J'ai enfin compris la signification des giboulées de mars dont parlent les plus âgés, les plus sages peut-être, ceux qui collectionnent les années comme d'autres collectionnent les timbres. Ces giboulées de mars qui font causer les paysans de ma petite campagne et qui se sentent désormais parfois un peu dépassés par la météo et ses aléas, par ce monde qui se détraque. De la pluie regardée tomber par l'une des fenêtres de la maison dans laquelle j'ai grandi, dans laquelle j'ai été en vie, de la pluie regardée se transformer en neige et soudain, le soleil. Un ciel bleu, imprévisible, inattendu. Et les mots de ma maman "ah, les giboulées de mars..." On a joué aux cartes et au petit baccalauréat dans cette maison où le temps est comme suspendu, toutes les trois, maman, ma soeur et moi, toutes les trois près du feu qui crépitait, et on a ri, on a ri si fort car ma soeur est une mauvaise perdante... C'est moi qui ai été la grande gagnante du petit bac, j'aimais tellement cela avant, chercher les mots, les trouver. Nous y jouions si souvent lorsque nous étions enfants. On a lancé les dés mille fois en attendant que les minutes s'égrainent avant de partir à la gare, trois parties de Yam's, je suis tout de suite moins douée lorsqu'il s'agit de chiffres. Ce n'est pas ma faute si ma sœur a pris tous les gènes matheux de la famille, il ne m'en est pas resté grand chose, de ces petits chromosomes en forme de chiffres... J'aime croire que mes parents m'ont offert autre chose, les mots peut-être, l'art de l'écriture, j'aime croire que je peux toucher cela du bout des doigts... J'aime croire, parfois. J'aime croire et pourtant je perds foi en la vie tant la douleur dure. Tout ces cauchemars où je te vois mourir, petite maman, tant de cauchemars où tu disparais dans le néant et il ne reste alors plus rien de toi que mes souvenirs, mais ça ne suffit pas, tu comprends, ca ne suffira jamais, les souvenirs. Je me réveille en pleurs et j'étouffe, j'étouffe de l'intérieur quand je t'imagine à jamais loin de moi, et puis je reviens à la réalité : tu es là, vivante, il me suffit de composer ton numéro de téléphone pour entendre ta voix, je pourrai caresser ta joue ou déposer un baiser sur ton front avant d'aller dormir quand on viendra te voir le weekend prochain. Et dans le moindre geste, le moindre mot, j'aurai si peur de te briser... Il y a eu la confection de popcakes pour la première fois avec ma soeur et Florent, ils n'étaient pas très beaux nos gâteaux-sucettes mais on ne pourra que s'améliorer, et enfin la première photo prise avec mon Polaroïd. J'ai reçu la pellicule mardi et comme une enfant, sans prendre le temps de régler l'appareil, j'ai appuyé sur le déclencheur, juste pour voir si ça marchait, juste pour voir un résultat. Quelques minutes plus tard est donc apparue cette image un peu floue où l'on devine le contour de ma petite boule de poils préférée, et même si c'est loin d'être parfait, j'ai resisté à la petite voix qui me disait de l'enfouir dans une boîte ou de glisser le cliché entre deux pages d'un livre. Je l'ai accroché sur le mur prévu à cet effet, comme je me l'étais promis. Un petit pas de plus vers l'apprentissage de l'imperfection... J'ai envoyé mon manuscrit pour le concours de nouvelles auquel je m'étais inscrite, in extremis, le dernier jour, avec l'envie de tout réécrire, d'inventer une histoire différente, plus belle, mieux rédigée et puis...et puis, je n'en ai pas eu la force...j'ai glissé les feuilles dans l'enveloppe, et l'enveloppe dans la grande boîte aux lettres jaunes... Je me suis achetée un nouveau maillot de bain, pas pour les bonnes raisons et je le sais, pas pour les bonnes raisons et pourtant. Je suis allée au cinéma avec cette amie que je n'avais pas vue depuis plus de six mois car elle était en Espagne, nous sommes allées voir Jack et la mécanique du cœur, et quel chef d'œuvre, presque aussi magnifique que le livre. De la poésie, dans tous les sens. L'avenir se dessine aux crayons de couleurs, tracé incertain, mais il y a quand même ce stage de dernière année de formation enfin déniché, et je me dois de tenir bon, tenir debout et demain. Je sais qu'après une semaine à l'école éprouvante, je retrouverai dans quelques jours les petits bouts auxquelles je me suis attachée, N. et son bavardage incessant, M. et ses câlins, B. qui n'ose pas lâcher ma main pour faire ses premiers pas. Et C. dix-huit mois et des yeux qui brillent, un sourire malicieux et si beau quand on arrive à la faire rire, des boucles blondes et un visage de petit lutin. Les collègues rient quand je le dis, mais cette petite, on dirait vraiment qu'elle sort de la forêt enchantée. Je sais que, désormais, ces souvenirs m'appartiendront, même si je ne sais pas encore quelles images il m'en restera ni de quelle manière j'en parlerai, avec quelle nostalgie dans la voix. Il y a eu l'attente de l'appel de Mme M., le jour prévu et à l'heure dite, je n'attendais que ça, je n'attend presque toujours que ça de toute la semaine, et je me mordillais les lèvres face au téphone qui ne sonnait pas. La peur béante de l'abandon, et la raison qui se fait une petite place pour faire taire l'angoisse. Elle ne t'a pas oubliée, elle doit être absente aujourd'hui... Elle ne t'a pas oublié, elle pense peut-être à toi... Mais comme les enfants le disent si bien, il est difficile de raisonner avec des monstres.


Et puis, ce cours de théâtre...j'ai cru y laisser mourir mon esprit...certains mots font si mal...et d'autres ont le pouvoir de sauver... Premier exercice très introspectif sur des musiques, l'une d'entre elle, sans trop savoir pourquoi, m'a ramenée à mon enfance, c'était paradoxalement doux et douloureux et ensuite...deux autres chansons...j'ai ressenti la violence...j'entendais des cris, la peur des disputes, j'avais huit ans à nouveau et j'étais terrifiée, j'avais peur des cris, j'avais peur qu'il y ai des coups, j'avais peur des mots, si durs et ineffaçables... J'avais huit ans à nouveau et j'étais morte de peur... Et les remarques de Grégoire à la fin de l'atelier, tristesse et lourdeur, il parlait de l'exercice et je l'ai entendu comme s'il parlait de ma vie. Je ne sais pas s'il aurait pu y avoir des mots qui m'auraient atteints plus que ceux-ci. Malgré tous les efforts que je fais au quotidien, malgré ce masque déposé sur ma table de nuit à chaque fin de journée...malgré ce sourire que je me colle au visage tous les matins, malgré tout mes efforts pour devenir légère comme un papillon, on ne voit que cela, ça transparaît, ça me colle à la peau, tristesse et lourdeur.. Et puis, les mots d'Aurélien à la fin de la séance, lorsqu'il m'a dit : "N'interprète pas ce que je vais te dire mais pendant l'exercice, quand tu as du laisser dire, que tu étais prostrée dans un coin et que tu as dit quelque chose comme arrêtez de crier, arrêtez, vous allez me rendre folle..., tu avais les paupières closes et une mèche de tes cheveux retombait sur ton visage. Et bien, à cet instant précis, je t'ai trouvé magnifique et vraiment très touchante." J'ai posé ma tête sur son épaule et j'ai laissé les larmes couler en silence. Il est des mots qui sauvent quand d'autres savent si savamment détruire. Et quand lui a du laisser dire pendant l'exercice, laisser aller le flot de mots qui lui traversait l'esprit à ce moment-là et qu'il a parlé de corps-scaphandre, d'émotions emprisonnées qui ne correspondent pas au corps, que plus rien ne peux sortir, que nous sommes enfermés à l'intérieur de nous-même. J'ai eu envie de hurler, d'enfin faire craquer les coutures de ce corps que je ne supporte plus, j'ai eu envie de hurler, de lui crier que je comprends, que je le vis, que je le ressens, que je souffre aussi de ce corps-prison. J'aurais aimé lui dire, tu n'es pas tout seul. Le courage m'a manqué. Quand à la fin du cours, Grégoire m'a demandé si ça allait aller, j'ai répondu oui, par habitude. Que dire d'autre ? A sa question : "Est-ce que tu te fais aider?", j'ai répondu oui, timidement, oui, mais ça dure depuis longtemps tu sais. J'aurais aimé lui dire que je ne fais que cela, demander de l'aide, crier au secours, partout où je vais, peu importe où je passe, je ne fais que cela, crier à l'aide. Et si personne ne pouvait vraiment me venir en aide ? Alors... Alors quoi ?


 

Monsieur Mathias Malzieu, donnez-moi de l'alcool de larmes pour y noyer mon chagrin.

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Commentaires: 1
  • #1

    Clémence (dimanche, 06 avril 2014)

    J'avais vut ce tout joli livre a la fnac et je n'avais pas osé l'acheter... Puis j'ai lu ton post et je me suis dit que je ratais quelque chose quand même. Après un coup de blues je suis allée l'acheter jeudi... En pensant fort a toi.
    Il me plait déjà beaucoup.
    Je t'embrasse,
    Clem