Soie

La toute dernière Lettre d'un Inconnu...
La toute dernière Lettre d'un Inconnu...

Je pourrais dire que cela ne m'atteint pas, feindre un sourire et passer à autre chose, faire semblant de ne pas voir et de ne pas savoir, mais ce serait un mensonge. Je redoutais le moment des photos, bien sûr, de cette soirée à laquelle je n'ai pas été invitée, et les voir me fait l'effet attendu, le même qu'en voyant les photos du gala de fin de lycée auquel je n'étais pas, cette petite place vide toujours qui aurait pu être la mienne alors que j'étais absente. Je suis toujours la personne qui n'y est pas, celle qu'on trouve gentille mais qui met mal à l'aise parce qu'on ne sait pas vraiment qui elle est et qu'elle ne sait plus ouvrir son cœur. Je le sais, j'exagère. Il me le rappelle parfois ou me le fait comprendre et je pleure à nouveau, plus fort encore. Je ne sais pas ne pas être excessive : mes sentiments ne connaissent pas la demi-mesure, et l'amour la tristesse la colère refoulée tendent à me détruire. Je pourrais également affirmer que mon amoureux ne me manque pas, et pourtant son départ a réveillé en moi ce sentiment d'abandon déjà tant éprouvé, qui détruit mon cœur à petit feu et me laisse là, immobile, paralysée et agonisante. Les visages de tous ces gens qui me manquent envahissent mon esprit, je ferme les yeux et je les vois ; partout, par tous les temps, tout le temps, je me fuis parce qu'ils me hantent, je me perds dans les pas, dans les livres, dans les images, dans ses bras, dans des soirées trop alcoolisées. Irrémédiablement pourtant, je me retrouve encombrée du fardeau de moi oublié pour quelques heures seulement. On ne peut pas fuir bien loin de soi...

 

« C'étɑit au reste un de ces hommes

qui ɑiment ɑssister à leur propre vie,

considérɑnt comme déplɑcée toute ɑmbition de lɑ vivre.

On ɑurɑ remɑrqué que ceux-là

contemplent leur destin à la

fɑçon dont lɑ plupɑrt des ɑutres

contemplent une journée de pluie. »

Soie - Alessandro Baricco & Rebecca Dautremer


Je rêve de voyage, j'ai des envies d'ailleurs comme si ailleurs était mieux qu'ici. Je rêve d'y être plus heureuse, de partir vivre là-bas, respirer l'océan en me levant le matin, porter, pourquoi pas ?, un ciré jaune et des bottes en caoutchouc. Partir. Je me surprends à réaliser que je n'aurai bientôt plus aucune attache ici et que le vent me poussera sans doute ailleurs. J'aurai mal, bien sûr, de laisser ma petite maman, j'aurai peur pour elle et je m'en voudrai de ne plus être à ses côtés. Je ne suis pas certaine qu'un jour j'oserai. Ces idées volent et m'aident parfois à espérer un avenir meilleur, un avenir qui n'appartiendrait qu'à moi. Un futur où je prendrais enfin les rênes de ma propre vie. 

 

En attendant je suis parvenue, peut-être pour la vraie première fois depuis longtemps, à profiter de cette solitude non-désirée, à prendre du temps pour moi. J'ai terminé un livre absolument magnifique de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, je m'extasie devant les fabuleux dessins de Rebacca Dautremer et je redécouvre avec délicatesse les albums de Suzy Lee. Je me choisis des films et des livres, beaucoup. Je sors pour quelques pas, ce n'est qu'une question de mètres et pourtant je reviens épuisée. Je prends garde à être tolérante envers moi-même, accepter que la situation actuelle est ainsi et que rien ne me sert de lutter contre quelque chose que je ne contrôle pas. J'essaie d'équilibrer mieux mes repas dans la mesure de ce que je m'accorde, je me force à y intégrer plus de protéines, j'essaie de ne pas penser qu'à cela, et pourtant. Cette chose-là est plus forte que moi, et c'est terrifiant. J'ai envoyé le mail commencé jeudi, un message d'au-secours, une sollicitation d'aidez-moi, une supplication de ne pas me laisser seule et désarmée. J'emmène en allant me coucher une tasse de chocolat froid, une substance que contient le lait aiderait à dormir, paraitrait-il. J'inspire sur deux temps et j'expire en comptant jusqu'à quatre, je cale le bout de ma langue sur la petite montagne du palais juste derrière les incisives pour focaliser mon attention, je me recroqueville en serrant le deuxième oreiller contre mon corps et j'attends le moment propice pour fermer les yeux sans avoir trop peur de ce que je vais trouver derrière mes paupières closes. Comme lorsque j'étais petite, je m'imagine le monde de l'autre côté, celui que l'on va chercher quand on s'endort. Je vois la forêt enchantée, j'entends le clapotis de l'eau et j'attends Morphée. Il y a des soirs comme celui-ci où elle m'oublie mais je me plais à croire que demain soir, lorsque le soleil se couchera, elle pensera à moi. Dans le silence pourtant, parfois bien tard, elle finit toujours par me surprendre. Je délie mes poings serrés et enfin, je m'endors. Enfin, après tant d'efforts, je m'abandonne.

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