Viens on joue à que je suis mort.

La lumière  bleutée qui traverse les volets. Les gyrophares. L'ambulance qui s'arrête juste devant mon immeuble, se gare. J'entends les pompiers frapper à l'une des portes du rez-de-chaussée. J'ai peur que la mort rode. 

 

De lui, je n'ai vu que ses chaussures. Des baskets noires qui dépassaient du drap qui recouvrait son corps. Son corps inerte sur le trottoir d'en face. Un matin de printemps. Je n'ai pas oublié. J'entends des passants discuter, l'homme a sauté du quatrième étage. Je lève les yeux : la fenêtre est encore ouverte. Pendant plusieurs semaines, elle le restera. Et à chaque fois que je passerai dans cette rue, j'aurai une pensée pour lui. Je changerai de trajectoire, souvent, un parcours un peu plus long, tant pis, pour que mes souvenirs ne se heurte pas à cet inconnu dont je n'ai connu que la mort. Je repense à ses chaussures. Avait-il prévu de les mettre pour ce dernier geste, ou était-il prêt à sortir lorsque la pulsion de mort l'a traversé ? Je crois que je mettrai des chaussures fermées, moi aussi. Je mettrai des tennis, paradoxalement, pour me sentir un peu protégée au moment de mourir. Protegée de quoi, allez savoir. Pas de la mort, non, mais par peur d'avoir mal.

 

Hier soir, pendant le cours de théâtre, on a joué à mourir. Un clin d'oeil des quatre infiltrés du groupe et hop, on doit compter jusqu'à quatre dans sa tête avant de s'effondrer.

Vous avez trente secondes pour mourir, a dit Grégoire. Il souriait.

On a joué à mourir, et c'était presque trop réaliste pour en rire. L'idée de mourir m'a terrifiée. J'ai demandé à Grégoire, doucement : Est-ce qu'on est obligée de mourir en trente secondes, ou...on peut être plus rapide ? Je l'avoue, j'avais peur. Cette confrontation à sa propre mort, même dans le jeu, ne semblait pas en être une. L'idée m'était sans doute trop proche et trop présente pour que cela ne reste qu'un jeu. Du faire semblantMes camarades se sont effondrés, les uns après les autres. Les tirs par balles, les asphyxies, la mort qui vient du dedans. L'agonie. 

Vous avez trente secondes pour mourir. 

Mon tour est arrivé. Je l'ai fait. Je suis morte. Je suis morte, et je n'avais plus peur. J'ai même, je crois, éprouvé un certain apaisement. J'ai compris maintenant pourquoi ce n'était pas si difficile. Après tout, à chaque seconde, je meurs un peu comme je respire.

 

J'ai neuf ans. C'est la première fois que la mort me fait face. Qu'elle me fait pleurer. Je ne sais pas vraiment pourquoi je pleure, d'ailleurs, peut-être pour faire comme les autres. Pour évacuer tout le chagrin qui est en moi, mais pas le chagrin de cette perte. Celui-ci ne viendra que bien plus tard. Dehors, il neige. Du blanc à perte de vue. Une lumière éblouissante lorsqu'on frappe à la porte. Ma mère vient nous chercher, ma sœur et moi, dans mon souvenir nous sommes encore en pyjama. C'est un matin enneigé. Ma mère nous dit de nous habiller, on va chez ma tante, vite, dépêchez-vous. Je me souviens que sa voix tremble. Il est arrivé quelque chose. Dans la voiture, ma mère pleure.

Qu'est-ce qu'il se passe Maman, qu'est-ce qu'il y a ? 

J'ai peur. Je sens ma poitrine qui se sert, je les connais ces moments de terreur.

Maman, c'est papa ? Il est arrivé quelque chose à papa ?

Mon père est en voyage d'affaires à Paris. 

Ce n'est pas mon père. C'est son frère. Son frère qui est mort.
Mon oncle. J'ai neuf ans. Il en avait cinquante deux. 

 

Il y a cette légende du poids de l'âme qui dit que nous perdons tous vingt et un grammes à l'instant précis de notre mort. Lorsque notre esprit quitte notre corps. Le poids de cinq pièces de monnaie, d'une barre de chocolat. Le poids d'un colibri. On dit que nous perdons tous vingt et un grammes en quittant la vie. Ou plutôt, que nous ne somme plus que vingt et un grammes. Le reste, le poids du corps, retourne à la terre. Alors on pèse peut-être vingt et grammes, et on s'envole. Elle ressemble peut-être à cela, la fin.

 

« D’une certaine façon, j’ai déjà traversé la mort. Cependant, il m’est difficile de dire si j’en ai encore peur. » Charles Juliet

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