La vie à combler

C'est le grand ménage, d'automne, dira-t-on. Dans le cœur, l'hiver a pris toute la place depuis longtemps déjà. Tous ses vêtements sont éparpillés sur son matelas dont la literie sèche, l'odeur de lessive est saisissante lorsqu'on pénètre dans la pièce, presque trop forte, mais ça sent le propre et c'est c'est qu'elle voulait. Dans un sac s'entassent les vêtements qu'elle n'utilise plus et envisage de donner, le choix a été dur avant de se séparer de ces morceaux de tissus et de ce dont ils se souviennent, de tous ces instants de vie qui lui reviennent en mémoire et dont elle doit, d'une certaine manière, faire le deuil. Elle a rangé ce placard de l'entrée qui n'a pas vraiment de fonction sinon que d'accueillir tout ce qu'elle lui jette, remis ses vestes et manteaux sur des cintres, entassé des dizaines de sacs plastiques dont elle ne se sers pas, chaque fois elle oublie d'en prendre et en achète de nouveaux, chaque fois elle entasse. Son travail n'avance pas, la douleur martèle dans le haut de son dos, elle lutte. Elle ferme les yeux en humant l'odeur qui se dégage de la tasse de thé brûlante posée près d'elle. Camomille, vanille, fleur d'oranger. L'estomac gronde pendant qu'elle s'enivre de cette senteur de petite fille. Elle se perd quelques secondes dans la forêt de ses souvenirs d'enfance mais le cœur s'emballe alors elle brise le verre. Elle fait des listes, plusieurs pour chaque jour, pour tout ce qu'elle doit faire. Elle feuillette le dernier catalogue d'Ikéa et s'imagine un petit chez-elle près de l'océan, un salon rempli de toutes sortes de plantes, de milliards de livres un peu partout, des petites cachettes (rien qu'à elle). Elle voit déjà la chaise en rotin, le canapé, le fauteuil où elle lira des heures durant. Elle imagine. Son bureau d'écrivain, un peu ancien, dans un coin de la pièce, éclairé par une petite lampe. Elle voit la couverture la plus douce et chaude possible posé sur le canapé. Son lit, son nid, où le visage se perd dans la multitude d'oreillers et où le corps semble disparaître. Elle imagine. Un piano, elle apprendra à en jouer. Des bougies, de l'encens. Un monde de douceurs propice aux rêveries. Rien d'autre. Absolument rien.

 

Maintenant, elle attend. Elle attend quoi, me demanderez-vous, et je ne saurais que vous répondre. Car elle même ne le sait plus. Il faut attendre que ça passe, elle le sait. Ce qu'elle ne sait pas, c'est si ça va finir par se taire. Elle a rempli sa journée de tout un tas de petites choses, une journée presque normale, se dit-elle, mais elle n'en est pas sûre. La normalité, elle ne sait plus. Elle avait rendez-vous ce matin avec un spécialiste pour sa gorge qui laisse passer si peu d'air, il avait du retard et elle a attendu, patiemment, en pensant à après. En début d'après-midi, elle a travaillé un peu -mais pas suffisamment- et sur le chemin de la bibliothèque s'est arrêtée embrasser son amoureux, a emprunté des livres et est rentrée. A continué à réfléchir à tous ces petits cadeaux de Noël qu'elle prépare. Lu quelques pages du livre de Camille Laurens qu'elle vient de commencer. Ecouté Buridane qui chante en boucle depuis quelques jours. Elle a rangé et passé le balai. Maintenant, elle attend. Avec le soir qui tombe, elle se demande si le minuscule grondement qu'elle sent au creux de sa poitrine ne va pas enfler jusqu'à l'explosion. Et ça la terrifie. Ce débordement de soi. Une pulsion de vie qui ressemble à la mort.

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