A jamais

Cinq ans aujourd'hui. Mil huit cent vingt-six jours. 

Tant de temps depuis la Chute. 

Quarante-trois mille huit cent vingt-quatre heures. 

Tant de temps depuis la Chute. 

Deux millions, six cent vingt-neuf mil et quatre cent quarante-quatre secondes.

Que je respire mal, par à-coups, que mon corps s’asphyxie car l'oxygène n'arrive pas jusqu'à mes poumons. Que je souris de travers. Que je pleure pour un rien. Que mon sommeil est soit trop long soit inexistant, que je me réveille trois fois par nuit et que des cauchemars ont pris possession du pays de Morphée. Que je me suis retirée de tout ce que j'ai pu et que j'ai tout perdu. Autant de secondes à mourir de froid, le froid du dedans qui ne disparaît pas au fil des saisons. Cinq années que. Que je suis devenue une écorchée vive. 

Plus d'une année à ne mâcher que du gravier, des cailloux si lourd dans l'estomac.

Trois années que le renard gratte dans mon ventre au moindre imprévu ou lorsque la solitude se fait trop présente. Les graviers plus le renard, je ne vous raconte pas l'histoire.

Un an et demi là-bas, dans cet ailleurs si différent du ici d'aujourd'hui. Des dizaines de visages croisés, un regroupement de cœurs cabossés, des êtres en devenir brisés en mille morceaux. Cinq années de médecins de toutes sortes, des plus classiques aux plus étonnants, cinq années que je suis devenue une patiente. Cinq années de promesses et le temps qui ne donne pas raison à ces soi-disant faiseurs de miracles. Lorsqu'on fait face au désespoir le plus profond, je crois que l'on peut avaler n'importe quel mensonge tant qu'il promet de la lumière.

Soyez patiente. "Laissez du temps au temps...". J'attends toujours. J'ai passé le dernier quart de ma vie à attendre, et. Rien ne vient. Rien de rien.

 

Je me souviens de ce jour où mon angle de vue sur la Vie a changé. D'un coup, je suis passée de la couleur au noir et blanc. C'était un jeudi après-midi, il neigeait. J'avais seize ans. Mon monde s'est effondré. Comme ça, sans raison apparente. Mon visage n'était plus le même, les personnes autour de moi l'ont vus. C'était comme, je ne sais pas vraiment, une chape de plomb. Quelque chose qui a cessé de s'allumer, quelque part en moi. Étrangement, je me souviens de ce jour avec exactitude et je ne trouve pas les mots justes pour vous parler de cet instant-là. De ce cours, de la neige qui tombait au-dehors, du menu du déjeuner, et de ce sentiment, soudain, de n'être plus la même. 

 

Cinq années de lutte. Moi-même contre moi-même. Cinq années d'autodestruction. De dommages collatéraux. Cinq années de sourires perdus et de rêves évanouis. Cinq années à m'arranger avec moi-même pour espérer un lendemain plus beau. Cinq années à compter des calories et les mois depuis la Chute. Cinq années à avaler des cachets de toutes les couleurs qui, paraît-il, pourraient améliorer votre état. Cinq années de parole déliée où je raconte mon enfance et tout le reste, de mille manières différentes. Je dis et je redis dans l'espoir d'avoir oublié quelque chose qui serait décisif, qui pourrait expliquer l'effondrement. Cinq années de travail sur moi à sonder mon inconscient, à reconstituer le puzzle de mon histoire familiale, à chercher les travers qui pourrait expliquer que.

Cinq année que je cherche le chemin qui pourrait me mener jusqu'à moi. Suis-je celle que j'étais, avant la Chute, ou suis-je une autre ? Ce corps qui me pèse et ma présence au milieu des autres qui semble gêner. Qui suis-je ? Le saurai-je ? Le chemin qui mène jusqu'à soi est le plus long, le plus chaotique, le plus douloureux sans doute.  

Cinq années que le combat fait rage. Je ne compte plus les soirs où je voudrais que ce soit le dernier.


Je ne sais pas si un jour il se passera dans ma vie quelqu'un chose d'assez important, un tournant assez significatif pour me permettre d'arrêter de compter ces anniversaires-là.

 

Tant de temps depuis la Chute. 
Cinq années désormais depuis ma toute première mort. 

Alexandre Day, 2013
Alexandre Day, 2013

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Commentaires: 2
  • #1

    Combien tu brilles (vendredi, 06 février 2015 08:04)

    J'ose te dire que je te serre, fort. Ton texte est particulièrement touchant. Je te souhaite bien plus de soirs d'émerveillement et d'apaisement maintenant.

  • #2

    desbleusaucoeur (samedi, 07 février 2015 14:56)

    Je,. Un merci, immense.
    J'accepte ton étreinte et je te la rends, en grand. Je te serre, fort.
    F.