Portraits

D’abord, il y a Lucien. C’est le garçon assis à ma droite, qui est habillé tout en bleu, chemise-pantalons-chaussettes-chaussures. Il a dix-neuf ans et il est étudiant en physique, plus précisément en mécanique quantique. Lucien a six frères et sœurs, il est le plus petit. En raison de sa place dans la fratrie, ses parents voulaient l’appeler Benjamin. Et puis non, finalement. Son prénom c’est Lucien. Son père est issu d’une fratrie de quinze, alors les réunions de familles c’est un peu quelque chose. Lucien est scout et connaît beaucoup de choses : il nomme les étoiles et sait changer une roue, malgré ses soixante kilos tout mouillés. Lucien est né, a grandi et étudie à Bordeaux. Lorsque je lui en parle, il me dit : Ah, Bordeaux, et je comprends que sa vie est là-bas. Sur le chemin du retour, Lucien se signe en passant devant une église, et ça me fait tout drôle, moi qui ne crois pas en ces choses-là.


Elle, c’est Billie. Billie comme dans Billie the kid. Billie, aussi, pareil que la petite fille blonde comme les blés qui a soufflé sa première bougie la semaine dernière à la crèche. Billie, c’est donc la conductrice de la fourgonnette vert pomme. Elle a trente-cinq ans, et deux petits garçons. Son métier, c’est de soigner les chevaux. D’ailleurs, lorsque la propriétaire d’une jument dont elle s’occupe depuis plusieurs mois appelle en pleurs pour lui dire que celle-ci est en train de mourir, j’ai envie de serrer la main de Lucien. Juste pour être unis face à la douleur et à la mort, parce que la voix tremblante qui résonne dans le véhicule est bouleversante. Billie a une sœur cadette qui est restée vivre à Lyon. Sa maman est partie un jour et n’est jamais revenue et son papa a déménagé à huit mille kilomètres d’elle. Le plat préféré de Billie, c’est les cuisses de grenouille. Elle adore les escargots, aussi. Lucien n’a jamais goûté ni de l’un ni de l’autre. Moi, je serre les dents parce que ce sont les deux choses que je ne pourrai jamais plus manger. En vérité, les escargots je n’ai jamais pu.


Nous parlerons des prénoms, des nôtres et de ceux que l’on attribue à ses enfants, de ce don que l’on porte sur soi pour la vie. De l’infiniment petit et de l’infiniment grand, des étoiles et de celle du berger qui brille si fort, et Lucien nous apprendra qu’elles tournent toutes autour de l’étoile polaire. Nous parlerons du sort qui semble parfois s’acharner sur certaines personnes, du destin, du karma, appelez cela comme vous voulez. Nous parlerons aussi nos croyances, de la Vie, de l’éducation que l’on souhaite pour ses enfants et de la difficulté d’être parent. Nous parlerons des rencontres, de la nôtre et du partage, de la richesse de croiser sur sa route des personnes aux univers si différents. Nous nous dirons, finalement, que chaque personne est un monde.

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