j'ai le cœur en hiver

Janvier est le mois le plus triste.

Il nous accueille de cette manière-là, un mercredi soir, en nous intimant de danser plus, de musiquer, de frimer, pour contrer justement, cette morosité de Janvier. Et tandis que le premier mois de l’année touche à sa fin, je réalise combien je n’ai eu le temps de rien, pas même d’envoyer des vœux. Pas même cela, c'est pour dire.

Le jeudi soir de la troisième semaine, je lui écris : cette troisième semaine, ce fut le ciel gris gris gris et la boule d’angoisse au creux du ventre. Mais ce fut, aussi, un bouquet d’hiver, une bougie à paillettes et deux nouvelles valisettes en cartons. Avec pour leitmotiv le texte de sa carte accrochée au-dessus de la table du salon : le meilleur arrive. Puisqu'il faut le croire pour ne pas s'effondrer. Et ce fut cela, exactement. Avec, ce soir-là, l’odeur de la tarte aux pommes qui cuit doucement et la musique folk dans le salon. 

 

***

Un soir il m’écrit, en passant :

J'ai vu de la lumière.

Je suis passé.

Je n'ai vu personne.

 

Je lui réponds au milieu de la nuit, le silence et le noir tout autour, je suis seule dans le lit et les mots viennent comme s’ils avaient toujours été là, préparés en amont ou appris par cœur, j’écris d’un naturel qui me surprend, qui m’émeut, j’écris et je me sens vivante, et je me dis que le secret de la nuit est là, dans  l’instant exact où l’on a ouvert les yeux et que l’on ne s’est pas encore rendormi, ce demi-sommeil, l’instant exact, celui de la rencontre entre le conscient et l’inconscient, le moment précieux et insaisissable où toutes les portes sont ouvertes, en grand. Cette nuit là, les mots semblent s’écrire d’eux-mêmes et comme j’en suis heureuse, comme j’en suis heureuse.

 

Tu as bien fait de rentrer.

La lumière reste toujours allumée

Jours et nuits

Nuits et jours

Comme un phare

Pour ceux qui se perdent, ce que je dis, pour ceux qui s'égarent.

Le temps file file file et parfois j'ai l'impression

De filer avec lui

De m'efiler

De m'etioler

Mais je suis là

Debout

Vivante

Chancelante mais debout.

Certains jours je suis forte, et grande, et

Je suis un roc

J'ai décidé d'être une guerrière

Mais aujourd'hui, non,

Aujourd'hui je regarde le temps qui passe et je tremble un peu

Mais qui ne tremble pas, dis ?

 

*** 

Il dit que là, sur le plateau il faut toujours avoir un sourire collé au visage, même si c’est pour de faux, même si on a envie de pleurer et qu’on ne sait pas ce qu’on fait là finalement. Alors je souris, en grand, en riant, je souris en montrant mes dents. Je leur offre mon sourire de travers. Je leur offre le plus beau, le plus brillant de mes sourires cirque.

 

*** 

Le noël de cette année ne ressemble pas à celui des années passées. S’il s’agit de l’absence de neige de glace ou même de froid, d’avoir travaillé jusqu’à la toute fin, de l’attitude hermétique de V. devant les fêtes de fin d’année, de la distance ou des années qui passent, je ne sais pas. Il y a bien eu, pourtant, la veille de noël tous les quatre, le feu qui crépitait dans la cheminée et l’odeur des mandarines. Il y a bien eu la montagne de cadeaux et le presque sourire de petite fille, les dessins animés emmitouflée dans la couette le matin de noël. Il y a bien eu les sujets habituels d’un repas en famille, le travail, la vie actuelle et celle à venir, celle que l’on souhaite construire. Il y a eu plus encore,  les jeux de société à n’en plus finir, la belote et le scrabble jusqu’à l’ivresse, la joie d’être tous les quatre réunis autour d’une table. Mais je n’avais pas prévu cette fatigue immense, et puis. Est-ce la tristesse de me savoir si loin ? Est-ce le fait d'avoir grandi et de savoir désormais que plus rien ne sera jamais comme avant ?

 

***

Vous vous demandez peut-être : pourquoi n’écrit-elle plus ?

C’est que, je ne sais pas, les mots ne sortent plus, ni ici ni de vive voix.

Soleil dehors et brouillard dedans.

Et j’ai tout délaissé, même l’écriture.

Même elle, je ne pouvais plus.

Trop mal. Trop froid. Trop fatiguée.

Trop fragile.

 

Je suis là, las et comme orpheline de l'écriture qui me fait défaut depuis depuis des mois maintenant. Je suis là et j'attends, que quelque chose se passe, que quelque chose cesse, une fatigue, une usure quotidienne, j'attends un dénouement. Deux mille seize est déjà là et je décide de revenir, avec des mots, des mots jolis des mots touchants des mots parfaits, mais rien ne vient, j'angoisse et je reste silencieuse, la barre que j'ai placée si haut me paralyse. Les messages de vœux défilent, je réponds et je souhaite le meilleur, la douceur, la joie, la créativité, la lumière. Je réponds et je sais pourtant que demain rien ne sera différent, qu'il faudra que je le serre fort et que je ferme les yeux pour effacer le chagrin. Je sais qu'il me faudra prendre des décisions, pour provoquer le destin. Pour ne plus subir. Pour ne plus voir le temps défiler sous mes yeux avec le sentiment de ne pas y être, de passer à côté.

 

***

J’ai le cœur en hiver.

 

***

Hier soir j’ai branché la guirlande lumineuse du sapin, j’avais froid et un cafard monstrueux en pensant à la fin des vacances.

 

***

C’est ce matin que je reviens. Que je reprends ma plume et ma voix là où je les avais laissées. C’est ce matin que je sors de ma nuit, parce que je ne peux plus faire autrement. Je ne peux faire autrement que d’être plus forte que ce silence qui au-dedans me consume. Je n’aurais jamais eu tant besoin des mots que ces derniers mois, tout justement lorsque l’écriture m’a délaissée. Je n’aurais jamais eu tant besoin de dire que lorsque je me suis tue.

Mais c’est ce matin que je reviens. Parce que je ne supporte plus de ne plus sentir la Vie me frôler, m’effleurer, le vent sur ma peau et l’odeur du café qui emplit l’air au petit matin. Il faut que quelque chose se passe, que quelque chose parvienne à briser cette carapace qui me mûre. Même un peu, je veux dire, même si ce n'est presque rien, juste un craquèlement, il le faut. Pour laisser entrer la lumière là où elle n'existe plus. Il faut que quelque chose vienne ébranler cette certitude que l’obscurité durera toujours. C'est une prière.

Je voudrais partir mais je ne peux pas, ou plutôt, je ne me l’autorise pas, je crois, j’attends, dans les règles, la date de fin fixée sur le papier. Comme la petite fille trop sage que j’ai toujours été. Comme une petite fille sage qui pourtant meurt.

Chaque matin, j’ai peur que mon cœur cesse de battre tellement ça me sert fort dans la poitrine. Peut-on mourir de ça ?

 

*** 

Dans le café, ce matin, un oisillon picore les miettes. Je me souviens du rire discret de V. hier soir et de ses fossettes qui se dessinent sous la beauté de son sourire, je me rappelle de ma main cherchant la sienne dans l’obscurité de la salle de théâtre. Le voir marcher dans la ville m’a fait un drôle d’effet, comme si ce ne pouvait pas être réel de le voir là, déambuler parmi les autres, parmi les vivants. Et je l’ai trouvé beau, mon V., plus encore que lorsque je le regarde quelque minutes le matin avant de partir, endormi et serein, et que je quitte la chambre sur la pointe des pieds. Je le trouve beau et je lui dit, Tu es beau, il fait non de la tête en me répondant Pas tant. Je lui dis si, j’insiste, si si si. Il regarde la vie défiler par la fenêtre, il a l’air absent et le regard triste, j’aimerais savoir à quoi il pense et je n’ose pas le lui demander. V. et ses secrets, V. et ses pensées dont je devine si peu les contours.

 

***

 Il y a tout qui reste dans mon corps. Je crois que je suis proche du point de rupture.

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