Chroniques de gares (jour six)

9 Février 2020, 14:15, Valence gare TGV

 

Il y a dans cette enfant, habillée toute en rose, quelque chose qui attire mon regard, qui l'aimante.

Quelque chose de l'enfance qui s'échappe.

Ses cheveux sont retenus par un serre-tête fleuri et à ses pieds, de très petits souliers noirs vernis avec des très petits talons qui font du bruit quand elle marche. Et elle marche, beaucoup. Elle va et elle vient, elle traverse l'air sans jamais s'arrêter : on dirait qu'elle a peur de tomber. La petite jeune fille ne s'arrête de marcher que pour regarder autour d'elle, l'air soucieux. Dans cet air grave déjà, un visage de grande personne. Parfois elle s'approche des vitres et sort les mains de ses manches, des mains d'enfants qu'elle colle contre le verre pour regarder au-dehors. Que cherche-t-elle ?

Moi je la regarde de loin et je crois voir l'insouciance s'échapper de son corps, s'évaporer. Ce moment où. Ce moment où l'on bascule.

Elle a peut-être dix ans. A en croire ses vêtements, peut-être cinq et à croire son regard, peut-être cent. Elle a cet âge où l'on ne se situe plus vraiment et où l'on est, dans le regard des autres, plus petite mais pas encore grande. Et en soi, où est-on, où est-on dans ce moment où le corps tire vers l'avant et où il s'agit de laisser derrière soi l'enfance? Je l'imagine dans cet entre-deux, ce moment qui n'existe pas tout à fait et où l'on est, d'une certaine manière, nulle part. Elle essaie peut-être, avec cette robe à volants et les fleurs dans ses cheveux, de retenir quelque chose. Elle ne comprendra que bien plus tard, sans réussir à l'accepter tout à fait, que l'on ne retient rien, jamais. Que cette guerre-là est perdue d'avance. Sans doute devine-t-elle déjà qu'il est trop tard, qu'elle a basculé, sans pouvoir encore mesurer ce qu'elle a perdu. Ce vide, là, à l'interieur d'elle, que rien ni personne ne pourra jamais plus combler.

Les enfants savent si bien la fin des choses.

Ce saut, ce grand saut dans le vide est un vertige et parfois un arrachement. Une déchirure.

Elle se tient là, le dos droit et le visage grave, à la lisière de ce qu'elle ne connaît pas encore, et peut-elle imaginer qu'une fois de l'autre côté, le pays qu'elle quitte ne sera plus jamais, pour toujours, qu'un souvenir ?

 

Juste avant de partir,

à la toute dernière seconde,

elle voit quelque chose que je ne vois pas.

A ce moment précis, son visage retrouve la légèreté de l'enfance. Elle sourit et ses yeux brillent alors, son visage tout entier s'illumine. Dans cette lumière je me dis que l'enfance, finalement, ne se perd peut-être jamais tout à fait, que l'on en garde quelque chose en soi (un minuscule trésor que l'on transporte là, sous la peau). Un émerveillement, une douceur et une joie qui viennent de là. Une étincelle, un petit feu de bois.