Care

Je me dis depuis quelques temps déjà que c'est ce minuscule mot de quatre lettres, care, que je devrais me faire tatouer sur la peau. Le marquer pour me démarquer, me faire marquer au fer rouge une seconde fois, après l'étoile au creux de mon oreille, ce tout petit mot qui en dit pourtant long sur moi.

Care. Je m'applique à le prononcer, avec lenteur, de la manière la plus juste possible (si manière juste il y a de prononcer un mot). La traduction littérale de care est se soucier de, prendre soin de. Je connaissais ce mot surtout de l'expression anglaise I don't care (je m'en fiche), mais je l'ai réellement découvert, j'ai appris à lire à travers ce mot grâce au roman "Légère comme un papillon" de Michela Marzano. Dans celui-ci, elle explique : " Le care est une pratique morale. Qui permet de déplacer l'accent de l'individu à la relation, des personnes telles qu'elles devraient être aux personnes telles qu'elles sont. (...) Il faut apprendre à s'intéresser aux autres et à se soucier d'eux. Ainsi  serons-nous un jour capables de recevoir l'attention qu'ils peuvent nous offrir. Et de glisser pour de bon du stade du devoir-être à celui de l'être... (...) Car pour respecter les autres et les traiter avec équité, nous ne devons pas oublier que nous avons tous besoin de quelqu'un. Que nous sommes tous dépendants, sans exception. Et que la dépendance n'est pas nécessairement négative. Comment pourrait-on envisager d'aimer quelqu'un si on en dépendait pas, au moins un instant, des mots qu'il nous dit, des regards qu'il nous offre, des attentions qu'il nous réserve ?" J'ai lu ces mots, je les ai relu encore et encore, et j'ai compris qu'au creux de ces quatre lettres peut se résumer ma vie toute entière. On dit que la vie de certains tient dans un mouchoir ; il suffit de quatre lettres, deux consonnes et deux voyelles -le parfait équilibre- pour résumer la mienne.

Je prends soin d'autrui, des petits êtres humains que je côtoie au quotidien, je leur offre mes bras, mon sourire, mes mots, j'endors les plus petits, je souffle sur les bobos des plus grands pour qu'ils guérissent, je tente de rassurer, je me nourris de chaque sourire et de chaque câlin. Je me soucis d'eux, je prends soin d'eux, du mieux possible, de la manière qui me semble la plus juste. Je cherche le juste équilibre, deux consonnes et deux voyelles, si c'était aussi simple au quotidien. I care of them, et je me sens vivante à travers ces gestes là. Cette vocation, de m'occuper des autres, est la mienne. Et puis, il y a le I need they care of me. La part la plus importante de moi, sans doute. C'est la fillette qui parle ; le nourrisson peut-être même. Car "j'ai besoin qu'on se soucie de moi" est une urgence, une question de vie ou de mort. Un besoin plus qu'une envie. Mon enfant intérieur, le bébé, la petite Fantine aux cheveux blonds, à quel moment ai-je ressenti si fort la perte pour quémander aujourd'hui l'amour, inconditionnel et absolu ? Il y a ces personnes, côtoyées parfois quelques semaines, d'autres fois bien plus longtemps. Mr A., mon brillant professeur de français, Allison, infirmière douce et attachante, Mme M., qui lira sans doute ces mots et à qui je dois presque tout, Mme B., psychologue qui n'a pas pu s'occuper de moi autant que je l'aurais voulu, et maintenant, Brigitte, directrice de la structure où je suis en stage et de laquelle je suis, à nouveau, tombée attachée. Comme un nourrisson qui ne pourrait survivre sans une figure maternelle pour prendre soin de lui. Sauf que je n'ai plus huit mois, et que dans cinq jours il faudra à nouveau me séparer. Déchirure plus douloureuse qu'on ne peut se l'imaginer, la violence à l'état pur, le désarroi le plus absolu, les pleurs pour qu'on me prenne dans les bras, qu'on caresse mes cheveux et qu'on me susurre : « Je ne t'abandonnerai pas. Je ne t'oublierai pas. Je vais prendre soin de toi. Je suis là. » Mais non, je ne suis plus une petite fille de huit mois qu'on console de cette manière-là. Je suis une adulte, les autres le crois, mais je sais au fond de moi que je n'en suis pas vraiment une. Les carences de ma vie se situent ailleurs. Je ne suis qu'une enfant en quête d'amour. Ce que j'ai compris, désormais, c'est que ce n'est pas celle que je suis aujourd'hui que je dois soigner, c'est la petite fille qu'il y a en moi et qui, à un moment donné, s'est sentie abandonnée, trahie, délaissée. C'est son histoire à elle que je dois comprendre. C'est à elle que je dois laisser la parole si je veux guérir.

 

 

« Aucune grandeur d’âme là-dedans, mais l’enfantin besoin d’être aimée, de poser la tête et de tout raconter. » C. Orban

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Commentaires: 1
  • #1

    Sarah (samedi, 17 mai 2014 10:07)

    J'ai ressenti si fort un jour aussi ce besoin de soigner l'enfant tremblotante à l'intérieur pour pouvoir devenir adulte...Pour pouvoir tenir droit. Il y a aussi "Take care" et ce sont ces mots-là que je dépose ici ce soir pour toi. Prends-soin de toi. Parce qu'aimer et donner c'est important, mais s'aimer et se donner le droit de l'est tout autant.