"Ici ça va est une lettre du front. C'est par ces mots que je commencerais une lettre si j'étais loin, que j'allais bien et que je voulais rassurer quelqu'un. C'est par ces mots que je commence la plupart de mes lettres en fait. Du moins depuis quelques années. Ici ça va est l'histoire d'une reconstruction [...]. D'une remise à jour dans le sens d'un retour à la lumière."

Thomas Vinau

 

 

mardi

Ici ça va. Une petite nostalgie a choisi mon cœur pour maison, mais quand je ferme les yeux pour écouter le silence du monde, le bruit du dedans aussi se tait et tout doucement, la petite hôte se recroqueville et s'endort, bercée par ce son auquel elle n'est pas habituée.

 

mercredi

Ici ça va. Je m'installe dans cette vie au ralenti comme on se glisse dans des draps pas encore réchauffés : en fermant les yeux et en tremblant un peu.

 

jeudi

Ici ça va. Aujourd'hui le temps est passé sur moi sans me traverser, à peine le temps de l'écrire qu'il me fallait déjà me retourner et me résoudre à cette vérité là : je n'y étais pas.

 

vendredi

Ici ça va. Je lis souvent les mots des autres à voix haute et mon corps à chaque fois se fige : je ne reconnais pas ma propre voix, elle ressemble à celle d'une petite fille.

 

samedi

Ici ça va. J'écris sur la maison de mon enfance et sur les ailes des mots comme sur les ailes d'un oiseau, je m'envole pour rentrer chez moi.

 

dimanche

Ici ça va. L'apaisement qui a trouvé un chemin en moi confirme l'idée qui m'habite depuis toujours que ce monde n'est pas fait pour moi, qu'il est toujours trop.

 

lundi

Ici ça va. Je viens de traverser ma première nuit sans repos. Je me demande qui de la lune ou des étoiles s'est fait de mon sommeil une couverture.

mardi

Ici ça va. Même si le manque ressemble aujourd'hui à la morsure d'un chien sauvage que j'essaie d'apprivoiser.

 

mercredi

Ici ça va. Le printemps se glisse par les fenêtres ouvertes et sans un bruit, vient caresser la blancheur de ma peau.

 

jeudi

Ici ça va. Le silence ne me fait plus peur, je découvre même en lui une certaine forme de paix.

 

vendredi

Ici ça va. L'odeur du papier et de l'encre se mélangent à la lumière.

 

samedi

Ici ça va. Je mesure l'exacte temporalité du temps. Je m'étonne d'avoir pu vivre si longtemps à contretemps.

 

dimanche

Ici ça va. Le seul problème, c'est que je suis perméable : le gris du ciel s'est engouffré en-dedans. 

 

lundi

Ici ça va. J'ai cueilli entre les gouttes de pluie quelques flocons de neige et dans ce geste, mon regard a retrouvé quelque chose de l'enfance.

mardi

Ici ça va. Ça va comme un matin chagrin. Je voudrais que l'on me prenne dans les bras.

 

mercredi

Ici ça va. J'apprends à déchiffrer le langage de mon corps, celui-là même qui ne sait pas crier.

 

jeudi

Ici ça va. Ces sont les oiseaux qui désormais habitent cette ville désertée par les hommes. Ils occupent le champ libre qui leur est peut-être du, ils font entendre leur voix. J'ai été ce matin la spectatrice de cette incroyable symphonie.

 

vendredi

Ici ça va. Je sautille d'une chose à une autre, semant ça et là des petits bouts de moi qui volettent dans l'air et que je dois m'appliquer à rassembler le soir venu.

 

samedi

Ici ça va. Dans l'aube, je converse avec le silence et je cueille la lumière à la petite cuillère.

 

dimanche

Ici ça va. Il me reste à apprivoiser ce moment où la nuit tombe, littéralement, à l’intérieur de moi.

 

lundi

Ici ça va. Vingt jours depuis le premier, un temps qui semble avoir duré une éternité.

(Un temps sans durée,

qui s'étirera

peut-être

jusqu'à rompre)

mardi

Ici ça va. Cette nuit, le sommeil m'a éloigné du rivage et m'a ramené au matin avec le souvenir d'un rêve accroché au bout des cils. Premier rêve confiné.

 

mercredi

Ici ça va. Quand je vacille un peu, je me rattrape à l'écho de leurs rires pour ne pas tomber.

 

jeudi

Ici ça va. J'ai sauvé une vie aujourd'hui. Grâce à moi, une toute petite limace a échappée à une mort certaine. Je lui ai rendue sa liberté au milieu d'un parterre de fleurs de toutes les couleurs. Minuscule acte héroïque dans la volonté immense de remettre le monde à l'endroit.

 

vendredi

Ici ça va. Parfois, quand elle ferme la porte de sa chambre, j'endosse la solitude comme un vêtement trop grand.

 

samedi

Ici ça va. Sensation aujourd'hui que la vie était redevenue ce qu'elle était avant : un tourbillon.

 

dimanche

Ici ça va. Le vin aux teintes violines distille dans mes veines un indicible chagrin. L'alcool me rend triste, il réveille des souvenirs qui me brûlent par leur douceur.

 

lundi

Ici ça va. Mais je pense, à chaque fois que la nuit vient, qu'il faudrait pouvoir capturer les feux de joie lorsqu'ils là, emmagasiner leur chaleur en soi, pour se réchauffer les soirs de grand froid.

mardi

Ici ça va. Quatre semaines à vivre autrement, au ralenti, tournée vers le dedans. Aujourd'hui, autant de temps dans notre dos que devant nos yeux. L'un comme l'autre ressemblent à une éternité à peine écourtée.

 

mercredi

Ici ça va. Même si je m'emmêle un peu en moi-même, que ce matin je me sens décousue.

 

jeudi

Ici ça va. Dans l'aube, sans relâche étirer mon corps vers le ciel, lui qui ne se hisse plus mais se courbe. L'allonger, jusqu'a ce que les nuages me chatouillent le bout des doigts.

 

vendredi

Ici ça va. Chaque matin, affiner mon regard pour continuer à voir la poésie dans chaque chose. La lumière toujours m'indique le chemin, qui est parfois escarpé...

 

samedi

Ici ça va. Malgré l'orage, dehors, dedans. Dans le ciel et dans ma poitrine, ça gronde et ça tremble.

 

dimanche

Ici ça va.  Je cherche à descendre dans l’œil du cyclone, là où au milieu du chaos, tout reste immobile et calme.

 

lundi

Ici ça va. Il est venu et il est reparti de la même façon : à la manière d'un courant d'air. L'étrangeté désormais de le savoir tout près, mais ailleurs qu'ici.

mardi

Ici ça va. Mes yeux, habitués à nager, ne savent plus pleurer. Derrières mes paupières des déserts, une sécheresse qui me brûle, peut-être de trop voir.

 

mercredi

Ici ça va. Je dois vivre avec cela désormais : l'incertitude et le silence entre eux qui me font trembler.

 

jeudi

Ici ça va. Mon lit est un abri, une cabane, un bateau à voile.

 

vendredi

Ici ça va. J'entends les mots qui ne veulent plus sortir de moi rebondir contre les parois de mon corps.

 

samedi

Ici ça va. A quel moment la vie est-elle devenue douce, habituée, au point d'oublier que nous sommes enfermés ? A quel moment avons-nous, sans même nous en apercevoir, cessé de voir les barreaux de notre cage ?

 

dimanche

Ici ça va. Je commence à comprendre que la vraie cage, souvent, c'est mon corps.

 

lundi

Ici ça va. Le goût d'enfance des crêpes et leur parfum de fleur d'oranger me consolent de presque tout.

mardi

Ici ça va. J'ai l'impression que le temps d'avant, celui où il habitait ici, appartient à une autre vie.

 

mercredi

Ici ça va.  Est-ce que les mondes - celui de tous et celui qui m'est propre - pourront, après ça, redevenir ce qu'ils étaient avant ?

 

jeudi

Ici ça va. Je crois que la fin approche. Avant le début de quoi ?

(droit devant nous, à chaque pas, l'inconnu)

 

vendredi

Ici ça va. Nos deux corps face à face et mon envie de le prendre dans mes bras.

Heureusement, mes bras ne m'ont pas entendue et sont restés là.

 

samedi

Ici ça va. Le vent coiffe mes cheveux emmêlés par les nuits trop longues.

 

dimanche

Ici ça va. Retour de la petite tristesse du dimanche soir. C'est peut-être elle qui vient annoncer que quelque chose est en train de finir. Comme j'ai peur, soudain.

 

lundi

Ici ça va. Non, ça ne va plus. J'ai l'impression que sous mes pieds le sol s'écroule.